Parlons BIM ! 7 questions à Itaï Cellier fondateur et CEO de Polantis
Nous avons le plaisir de reprendre une nouvelle saison de notre série d'interviews "Parlons BIM", après avoir interviewé Bernard FERRIES et Olivier CELNIK de “Pratiques du BIM” et Emmanuel Di Giacomo de “Autodesk”, cette fois il s’agit de la première société au monde entièrement dédiée à la création du contenu 3D et BIM pour des fabricants des produits et matériaux de construction, POLANTIS !
Nous allons découvrir le parcours de son fondateur Itaï Cellier qui a rejoint récemment la communauté hexaBIM, les débuts de Polantis en 2008, l'arrivé de Laura PROUST et la constitution de l'équipe, les axes de développement futurs, la concurrence et notamment l'arrivée de BIMObject au marché des objets BIM, quelques conseils pertinents pour ceux qui n'ont pas encore franchi le pas, et comme le veut la tradition nous l'avons demandé ce qu'il pense de hexaBIM aussi !
Bonjour Itaï Cellier, vous êtes architecte et un des plus brillants chefs d'entreprises français, Le Moniteur vous a classé parmi les 35 personnalités qui vont changer le BTP, vous étiez visionnaire en créant la plateforme Polantis en 2008, parlez nous un peu de votre parcours et comment vous avez eu l'idée et l'initiative pour lancer Polantis.
Itaï Cellier : Merci pour ces compliments… Je suis architecte de formation (diplômé de l’ENSA-Versailles) : j’ai travaillé en tant qu’architecte dans plusieurs agences en France et à l’étranger pendant 5 ans puis en tant que chef de projet chez un éditeur de logiciels de CAO pour architecture pendant 3 ans. J’ai fondé Polantis en août 2008 à une époque où très peu de monde savait ce qu'était le BIM.
L’idée de créer Polantis m’est venu à l’esprit très tôt : en 2002. J’avais travaillé en tant qu’étudiant dans une agence d’architecture et je me souviens que pour un concours de collège 600, on avait besoin d’un ascenseur avec portes transparentes à intégrer dans le modèle 3D du projet. On n’avait pas d’objet “Ascenseurs” dans la bibliothèque générique du logiciel ni ailleurs sur le disque dur qui contenait les objets (qui étaient plutôt de mauvaise qualité, d'ailleurs) venant d’un peu n’importe où… Après avoir cherché en vain, le chef de projet avait sorti le catalogue papier d’un fabricant d’ascenseurs assez connu dont un modèle correspondait à ce qu’il nous fallait et il m’avait dit “Monte nous ça en 3D”. J'ai passé toute la journée à modéliser l’ascenseur en question avec pour seule base de travail le catalogue papier dont les dessins n'étaient pas très clairs. Le résultat final était plutôt réussi mais peu précis. Par la suite, on a décidé de rejeter le modèle en question et j’ai dû en modéliser un autre (ce qui m'a pris une journée et demie supplémentaire). En parallèle, il n'y avait pas un jour sans que le commercial de tel ou tel fabricants vienne à l’agence pour présenter ses catalogues papiers et ses échantillons qui tenaient dans de gros classeurs. Ces classeurs se trouvaient tous dans la “doc” un peu poussiéreuse de l’agence et chaque fois que l’on avait besoin de prescrire quelque chose, le catalogue auquel on se référait datait déjà. J'étais témoin de deux choses : d"un côté, les fabricants déployaient d'énormes efforts commerciaux - par ailleurs peu appréciés par les architectes - et de l’autre côté, les architectes perdaient beaucoup de temps à monter des objets de catalogues en 3D. C'était donc beaucoup de temps et d’argent gaspillés des deux cotés. En tant que stagiaire, je ressentais aussi beaucoup de frustration : j'étais venu pour apprendre mon métier, pas pour dessiner des ascenseurs et des gardes corps. En agence, on était assez charrette sur les projets à réaliser : ça n'était pas notre métier que de faire des bibliothèques d'objets. C’est en constatant ce dysfonctionnement que j’ai eu l’idée de foncer Polantis dont la mission est de créer de beaux objets précis en 2D et 3D et dans tous les formats possibles et imaginables pour que les architectes puissent facilement les intégrer dans leur projets. En parallèle, l’intérêt pour le fabricant est aussi évident : en créant ces objets il répond mieux aux besoins des architectes et il est prescrit plus facilement.
Polantis est une aventure humaine avant tout, vous avez commencé seul en 2008, un an après Laura Proust vous a rejoint comme associée, aujourd'hui vous êtes entouré par une formidable équipe, comment Polantis en tant qu'entreprise et en tant qu'équipe a évolué depuis sa création ?
Itaï : Les débuts n'ont pas été faciles. J’ai crée Polantis avec 10 000 euros que j’avais réussi a économiser puis j’ai emprunté un peu d’argent à droite et à gauche. Ça n'était pas simple du tout d’expliquer aux fabricants l’importance de faire des objets 3D en formats CAO et BIM. La plupart de ceux que j’ai contactés au début étaient complètement déconnectés du monde des architectes et de leurs méthodes de travail. Je n’ai eu que très peu de clients qui m’ont suivi dès le départ. Mon quotidien, c'était de tout faire, tout seul : sites internet, images de synthèse, etc. Je travaillais 16 à 20 heures par jour, weekend inclus et je ne gagnais encore pas assez d'argent pour me payer un salaire. C'est seulement au bout d'un an que j'ai réussi à dégager des bénéfices : 5000 euros pour être exact. J’ai contacté Laura Proust qui venait de quitter un poste chez un de mes clients et je lui ai proposé de travailler pour moi pendant 3 mois. Très vite, j’ai vu qu’elle était sérieuse et efficace et que nos compétences se complétaient parfaitement. On s’est associés et elle est devenue un pilier de Polantis. Depuis son recrutement, il y en a eu pas mal d'autres, plus ou moins réussis. Aujourd’hui on est une équipe très soudée et solidaire : 5 de nos salariés ont un pourcentage dans le capital de Polantis. Aujourd'hui, Polantis, c'est avant tout une équipe de très bons professionnels qui viennent travailler chaque matin le sourire aux lèvres. En effet, pour moi, le développement personnel et le bien être de chaque employé n'est pas moins important que la réussite de Polantis en tant que société. On investit ensemble, on développe la société et on apprend ensemble.
Polantis a 7 ans aujourd'hui et c'est encore le début de l'aventure, près de 100.000 agences d'architecture et architectes se sont inscrits, l'adoption croissante du BIM aussi ne fait qu'accélérer le développement du secteur, quels sont vos futurs projets pour suivre les tendances du BTP voir les anticiper ? Un scoop à nous révéler peut être ?
Itaï : Nous avons deux développements majeurs en cours qui sont issus d’une longue étude des besoins du marché des deux cotés (industriels et prescripteurs). Je ne peux pas révéler plus de choses pour le moment mais ce qui caractérise ces développements, c’est l'écoute et la compréhension des besoins des professionnels du BTP. Et ce, afin de réussir à servir les intérêts (parfois contradictoires…) de tout le monde. C'est un peu comme le BIM lui même.
Un petit mot d'ailleurs sur le terme "tendances du BTP" : le mot "tendance" ne me convient pas car il désigne quelque chose qui est éphémère. Pour moi le BIM est essentiel et je dirais même inévitable. Ce n’est pas quelque chose qui va disparaitre. Notre projet actuel - et nos développements futurs - c'est de répondre à un besoin chez les fabricants qui va se faire sentir de plus en plus fort : investir pour ne pas se faire dépasser.
Durant les premières années vous étiez quasiment le seul sur le marché, les choses ont changé depuis et d'autres plateformes similaires ont vu le jour, que faites-vous face à la concurrence ?
Itaï : Déjà, je suis très heureux d'avoir des concurrents : cela prouve que le marché est en plein expansion ! Il est vrai qu'au début, on était les seuls sur le marché et qu'aujourd’hui, on a une bonne dizaine de concurrents sérieux. Il y en a aussi quelques uns qui sont à éviter à tout prix car ce qu’ils proposent peut s’avérer contre-productif - à la limite du charlatanisme. Comme le BIM est en plein essor, certains profitent du manque de connaissance des acteurs du secteur et du fait que c’est un peu le “Wild West” mais je pense que d’ici 1 ou 2 ans, ceux qui offrent des produits et des services non performants disparaîtront naturellement.
Face à notre concurrence nous avons toujours adopté l’esprit “Judo” : on se sert de l’élan de l’adversaire pour prendre le dessus. En fait, Polantis sort facilement du lot car nous avons un rapport qualité-prix et une renommée difficiles à battre. On dit qu’une bonne renommée vaut mieux qu'une ceinture dorée et chez Polantis, nous le vérifions tous les jours : le taux de satisfaction de nos clients se rapproche du 100 %. Selon moi, il y a une explication à cela : c'est en fait parce que nous avons une approche très “analogue” dans ce monde digitale. En effet, nous sommes beaucoup plus que des "marketeurs" ou des techniciens : nous sommes des architectes. Avec tout ce que cela implique.
BIMobject est l'un de vos principaux concurrents, à l'international mais surtout en local, que pensez-vous de son développement et de sa stratégie ? Êtes-vous inquiet ?
Itaï : Inquiet ? Pas du tout. Je suis très admiratif de BIMobject : je pense qu’ils travaillent bien et le fait qu'il deviennent nos concurrent m'a beaucoup appris. En effet, ils ont une approche commerciale très agressive et ce sont d'excellents marketeurs et communicants. Mais même s'ils ont ces qualités, c'est Polantis qui détient la quasi totalité du marché français. L'explication à cela est la même que tout à l'heure : choisir Polantis, c'est choisir la qualité. Ceux qui disent "Le BIM arrive, il faut que je fasse quelque chose, combien cela va me coûter ?" ce sont des clients pour BIMobjects : là bas ils trouveront sans aucun doute leur bonheur. Mais ceux qui se disent : “Quels sont les besoins de mes clients et de mes prescripteurs ? Comment leurs pratiques évoluent grâce au BIM ?”, ce sont des clients pour nous. Nous aimons servir les gens qui se posent les bonnes questions, nous aimons les gens qui veulent apprendre et évoluer. Lorsque l’on travaille avec un client en France ou ailleurs, on fait pour lui bien plus que des objets BIM, on le conseille, on l'accompagne, on l'aide à recruter le personnel nécessaire pour gérer la problématique BIM. En fait, on développe avec lui une véritable “stratégie BIM” pérenne et taillée sur mesure : c'est cela notre valeur ajoutée. Pour résumer : on sait créer des objets BIM et CAO de qualité, aussi rapidement et efficacement que BIM Object et dans bien plus de formats. Mais notre philosophie, ça n'est pas le “show”, les coups marketing et une communication agressive. Chez Polantis, on préfère investir notre énergie dans le développement de nos outils de production en interne et dans la création d'offres qui ont une valeur ajoutée pour nos clients : on organise des séminaires, on crée des opportunités rares et privilégiés entre nos clients et leurs prescripteurs potentiels. Tout à l'heure, j'utilisais la métaphore du judo, en voici une nouvelle : Polantis, fait du sur-mesure, pas du fast-food.
Comment trouverez-vous l'évolution du BIM en France, et les industriels vis-à-vis de la démarche BIM ?
Quel conseil donnerez-vous aux entreprises, cabinets d'architecture et bureaux d'études qui n'ont pas encore franchi le pas.
Itaï : Je trouve que cela évolue plutôt dans un bon sens. On a un petit retard par rapport aux pays anglo-saxons mais rien de grave. Je pense qu’il faut surtout faire attention aux discours trop théoriques. Il y a beaucoup d’”experts BIM” auto-proclamés et beaucoup de monde à éviter plutôt qu’à écouter. Le BIM ça n'est pas vraiment compliqué, même pour les novices. Je le sais car je vulgarise beaucoup le sujet et j’évangélise le secteur depuis plus de 10 ans... Si vous écoutez quelqu'un parler du BIM et que vous ne comprenez pas vraiment de quoi il parle ou que vous ne comprenez pas l'utilité du BIM à la fin de son explication, fuyez ! Dans tout nouveau marché, il y a des individus qui essayent de faire du profit rapidement en exploitant la méconnaissance ou les lacunes de ceux qui veulent bien les écouter.
hexaBIM est une jeune plateforme communautaire spécialisée dans le BIM, 800 membres se sont inscrits depuis son lancement en janvier dernier, que pensez-vous du concept et quels sont les axes qu'on pourrait développer pour mieux anticiper les besoins du secteur ?
Itaï : Je trouve le concept très bien. J’adore le design et le coté communautaire du site. Il y a souvent des articles et des éléments de qualité sur votre plateforme et c'est important car, comme je le disais, on est encore à un stade où il est important de vulgariser et d'expliquer le BIM. Concernant maintenant les axes de développement, je pense qu’il y a encore du travail à faire sur la partie bibliothèque d’objets... Je pourrais peut-être vous donner un coup de main !
Un dernier mot pour la communauté du BIM ?
Itaï : Ne perdez pas de vue que le BIM est une méthode de travail dont l’objectif est d'améliorer la communication entre les acteurs du BTP. Ne réduisez pas le BIM à une pratique logiciel, à un produit ou à un service. Intéressez-vous à vos voisins et vos projets seront réussis, sans aucun doute !