Maitrise d’ouvrage : Décryptage des coûts et du retour sur investissement du BIM chez l'AOCDTF [Etude de cas]
Dans ce dossier approfondi, nous explorons l'adoption et l'impact du BIM au sein de l'Association Ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France (AOCDTF), en mettant un accent particulier sur les coûts de déploiement, le retour sur investissement (ROI) et les bénéfices tangibles réalisés à travers divers projets de construction et de rénovation.
Ce dossier invite également à une réflexion collective sur l'avenir du BIM, encourageant les professionnels à partager leurs expériences et à contribuer à une base de connaissances commune pour naviguer dans le paysage financier et opérationnel de la construction moderne avec le BIM.
Dans ce retour d'expérience que je partage avec vous, en tant que chef de projets au service technique du patrimoine et référent BIM national de l'AOCDTF, je mets l'accent sur les résultats tangibles que nous avons obtenus après cinq ans d'application du BIM sur divers projets d'envergure. Je vous dévoile avec transparence les défis que nous avons rencontrés, les coûts initiaux de mise en œuvre du BIM, ainsi que le retour sur investissement significatif que nous avons réalisé, ce qui a reflété une amélioration notable dans la gestion de nos projets. Mon témoignage, riche en enseignements, se veut être une source d'inspiration pour la communauté BIM, soulignant les bénéfices concrets du BIM dans la réduction des travaux supplémentaires, l'optimisation de la conception, et l'efficacité globale des processus de construction. Je souhaite que ce partage d'expérience encourage une adoption plus large du BIM, démontrant qu'au-delà de l'investissement technologique, le BIM représente une démarche stratégique bénéfique pour tous les acteurs du bâtiment.
Contexte et objectifs
Lorsque l'AOCDTF a pris la décision stratégique d'intégrer BIM dans ses processus de construction et de rénovation en 2018, l'objectif était clair : transformer en profondeur nos méthodes de travail pour gagner en efficacité, en qualité et en collaboration. À l'époque, le BIM se présentait comme une opportunité unique d'harmoniser les échanges entre les différents acteurs du projet, de réduire les délais de réalisation et de maîtriser les coûts, tout en améliorant significativement la qualité de nos ouvrages. Sous l'impulsion de mon collègue Manuel Porchet, directeur adjoint, nous nous sommes lancés dans cette aventure, convaincus que le BIM était non seulement un outil de conception et de construction mais aussi un véritable levier de compétitivité pour notre organisation.
L'initiative d'analyser et de détailler le coût de déploiement du BIM par mètre carré s'inscrivait dans cette vision. Nous cherchions à comprendre, de manière quantifiable, l'impact financier de l'intégration du BIM dans nos projets, en adoptant une approche inédite basée sur le ratio coût par mètre carré, similaire à celle utilisée pour évaluer les coûts de construction traditionnels. Cette analyse était essentielle pour plusieurs raisons : d'abord, elle nous permettait de justifier l'investissement initial requis par le BIM auprès de nos parties prenantes internes et externes, en montrant non seulement les coûts mais aussi les économies potentielles liées à une meilleure gestion des travaux supplémentaires et à l'optimisation des processus de conception et d'exécution. Ensuite, elle offrait un cadre pour mesurer le retour sur investissement (ROI) de nos actions, un élément crucial pour valider la pertinence de notre stratégie à long terme.
Méthodologie
Pour mener à bien notre étude sur le coût du déploiement du BIM au sein de l'AOCDTF, nous avons adopté une méthodologie précise, axée sur la quantification et la transparence des coûts associés à chaque phase du projet, du design initial jusqu'à la livraison. Le principe directeur de cette analyse était de calculer le coût du BIM en euros par mètre carré de surface de plancher (€ HT/m² SDP), une unité de mesure commune dans le secteur de la construction mais peu utilisée jusqu'alors pour évaluer les coûts liés au BIM.
Cette approche nous a permis d'établir un parallèle direct avec les coûts de construction traditionnels, facilitant ainsi la compréhension et l'acceptation des investissements BIM par tous les acteurs du projet. Pour ce faire, dès le lancement de nos projets intégrant le BIM, nous avons demandé à chaque intervenant de détailler et de séparer les coûts spécifiquement attribuables au déploiement du BIM, en accord avec nos exigences définies dans le cahier des charges. Cette demande incluait la séparation des coûts depuis la phase de programmation jusqu'au Dossier des Ouvrages Exécutés (DOE) numérique, assurant ainsi une traçabilité complète et une granularité fine des dépenses BIM à travers toutes les étapes du projet.
L'étude présentée ce jour porte sur notre construction d'un centre de formation, un bâtiment d'ordre tertiaire, généralement nos constructions sont de taille moyenne variant entre 6 000 m² et 10 000 m² de S.D.P (Surface de plancher).
Résultats et analyses
Coûts
L'analyse financière détaillée de nos projets BIM a révélé des chiffres clés qui illustrent l'efficacité de cette technologie. Le coût total du déploiement du BIM a été évalué à 51 € HT par mètre carré de Surface De Plancher (SDP), représentant 3,2% du coût total du projet. Cette répartition se décompose comme suit :
- 7 € pour le BIM Management
- 7 € pour la synthèse technique
- 9 € pour l'Assistance à Maîtrise d'Ouvrage (AMO) BIM
- 2 € pour la plateforme de collaboration (sur 36 mois)
- 17 € pour la Maîtrise d'Œuvre (MOE) de conception
- 9 € pour la MOE d'exécution
Impact sur les travaux supplémentaires
L'impact du BIM sur la réduction des TS est l'un des bénéfices les plus tangibles. Pour illustrer ce point, prenons l'exemple du lot de menuiserie intérieure : nous avons enregistré une diminution de 0,1% des coûts suite à la suppression de travaux du marché de base, une augmentation de 0,3% due à une demande de mise à niveau des portes coupe-feu par le Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS), et un ajout de 0,6% pour l'installation d'oculus sur les portes, à la demande de la Maîtrise d'Ouvrage (MOA). Ces ajustements, bien que spécifiques, montrent comment le BIM permet une gestion plus flexible et réactive des demandes et des imprévus, en limitant l'impact financier des modifications.
Un autre exemple marquant est celui du lot terrassement, où un aléa climatique a entraîné une augmentation des coûts de 38% pour la mise en place de chaux sur un terrain inondé, soulignant l'importance de la planification et de l'adaptation aux conditions de chantier. Malgré ces aléas, le total des TS liés à la demande de la MOA n'a représenté que 4,8%, un chiffre nettement inférieur aux projets sans BIM, où les TS peuvent facilement atteindre 10% ou plus.
Au final, on a constaté une chute de 4% en moyenne à seulement 0,88% sur nos projets BIM. Cette réduction de plus de 3 points de pourcentage représente non seulement une économie financière considérable mais aussi une amélioration notable de la prédictibilité et de la gestion de projet.
* le coût en % est vis-à-vis du lot et de son marché et pas du global projet
** Service départemental d'incendie et de secours
Optimisation de la conception et de l'exécution
L'optimisation apportée par le BIM à la conception et à l'exécution des projets, bien que difficile à quantifier précisément en termes financiers, est indéniable. L'utilisation des outils de Réalité Virtuelle (VR) et de Réalité Augmentée (RA) a permis d'éviter de nombreuses problématiques qui auraient pu survenir sans cette technologie. De plus, la mise en place d'une synthèse technique de niveau Exécution (EXE) dès la phase de Dossier de Consultation des Entreprises (DCE) a joué un rôle prépondérant. Cette approche a mis en évidence environ 300 problématiques potentielles, depuis les clashs jusqu'aux problèmes de conception, permettant ainsi de les adresser efficacement en amont. Le coût moyen économisé par problématique évitée, estimé grâce à l'outil BIM Collaboration Format (BCF), s'élève à environ 150€, soulignant l'impact financier direct du BIM sur la réduction des imprévus.
Flexibilité vis-à-vis des défis
Les défis liés au contexte géopolitique, tels que la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, ont souligné l'importance de la flexibilité et de l'adaptabilité dans la gestion de projet. Ces événements, en causant des perturbations significatives dans le secteur du BTP, ont accentué la valeur du BIM pour gérer les incertitudes, avec des TS liés à ces aléas représentant 1,5% du total.
La notion de bâtiment intelligent (SMART BUILDING) et l'intégration des systèmes de Gestion Technique du Bâtiment (GTB/GTC) ont également bénéficié de l'approche BIM, valorisant la part de TS à +1,92% par rapport au marché initial de travaux. Cette évolution vers des bâtiments connectés et automatisés représente une direction prometteuse pour nos futurs projets, soulignant le potentiel du BIM à accompagner les évolutions réglementaires et technologiques dans la construction.
Retour sur investissement (ROI)
À ce jour, le ROI est estimé à 2,5 ans, un délai remarquablement court compte tenu de l'ampleur des bénéfices observés. Cette estimation est principalement attribuable à deux facteurs clés : la réduction drastique des Travaux Supplémentaires (TS) et l'amélioration de l'efficacité dans la conception et l'exécution des projets.
Pour conclure
Avec un coût de déploiement de 51€ HT/m² SDP et un ROI convaincant de 2,5 ans, le BIM se présente comme un investissement stratégique incontournable pour l'AOCDTF. Les perspectives d'avenir incluent la consolidation de notre processus BIM sur les projets en cours, l'intensification de l'utilisation du BIM pour la gestion de la maintenance des bâtiments, et l'exploration de son potentiel pour l'analyse du cycle de vie et la réduction de l'empreinte carbone.
L'engagement de l'ensemble des acteurs du projet, depuis les ouvriers jusqu'aux fournisseurs, en passant par les partenaires et les membres de l'équipe de gestion, a été déterminant dans le succès de cette initiative. Cette collaboration étroite a permis de surmonter les défis inhérents à toute innovation, affirmant une fois de plus que le cœur du processus BIM réside dans l'humain.
Je souhaite que cet échange apporte une lumière nouvelle sur les pratiques de notre secteur, offrant des données concrètes susceptibles de guider les Maîtres d'Ouvrage et les Maîtres d'Œuvre dans leurs propres explorations du BIM. Mon but est de stimuler une réflexion approfondie plutôt que de fournir des chiffres absolus pour évaluer des projets spécifiques, sachant que chaque initiative, chaque bâtiment et chaque besoin est unique. Il est essentiel que ces informations soient accueillies dans le contexte approprié, en évitant toute interprétation hâtive ou erronée. Mon espoir est que cette contribution favorisera une compréhension plus nuancée et une application réfléchie du BIM, adaptée aux spécificités de chaque projet.
Alors que nous clôturons cette analyse, nous souhaitons ouvrir la discussion et approfondir notre compréhension collective de ces aspects cruciaux.
- Avez-vous des expériences similaires à partager concernant l'impact financier et opérationnel du BIM dans vos propres projets ?
- Comment vos chiffres de coût et de ROI se comparent-ils à ceux présentés ici ?
Vos témoignages et données chiffrées sont précieux pour enrichir le débat et fournir des perspectives variées sur l'efficacité du BIM dans le secteur de la construction. Nous vous encourageons vivement à partager vos analyses, vos réussites, et même vos défis rencontrés en nous envoyant par email contact@hexabim.com.
A propos de Nicolas Henry
Nicolas Henry, âgé de 33 ans, a entamé son parcours dans le secteur du BTP dès l'âge de 15 ans en tant que plombier chauffagiste, posant ainsi les premières pierres d'une carrière diversifiée. Évoluant à travers des rôles de leadership tels que chef d'équipe et chef de chantier, jusqu'à des positions stratégiques comme responsable de bureau d'études et ingénieur BIM, Nicolas a acquis une expertise profonde en génie climatique et en modélisation des données du bâtiment. Aujourd'hui, en tant que chef de projet en maîtrise d'ouvrage et référent BIM national, il s'investit dans la transition numérique et énergétique du secteur, mettant à profit sa passion pour le BTP et son engagement envers l'innovation et la durabilité. Sa carrière illustre son rôle actif dans la transformation de la construction, guidée par une vision de progrès et d'efficacité.