[10 ans de BIM] Trajectoires : retours sur la ligne B du métro de Rennes avec Sylvain Lelièvre
Dans le cadre de notre série d'articles célébrant les 10 ans du BIM en France, nous continuons d'explorer les retours d'expérience des maîtres d'ouvrage (MOA) français engagés dans cette transformation majeure. Après avoir découvert dans notre précédent article comment la Société des Grands Projets (SGP) a utilisé le BIM pour relever les défis du Grand Paris Express, nous nous intéressons aujourd'hui à un projet d'infrastructure régional, tout aussi passionnant : la ligne b du métro de Rennes.
Sylvain Lelièvre, représentant de Trajectoires, revient avec nous sur cette aventure pionnière. Il partage les réussites et les leçons tirées de l'intégration du BIM dans ce projet, notamment l'anticipation des appels d'offres, la coordination des phases études et travaux, et la gestion collaborative des maquettes numériques.
Découvrez comment cette démarche a permis de surmonter les obstacles d'un projet complexe et ce qu'elle peut nous enseigner pour les infrastructures de demain. Un témoignage riche en enseignements pour tous les acteurs du BIM et des projets d'infrastructure.
Anticipation et coordination : le rôle central du BIM
La ligne b de Rennes a marqué une première étape dans l'adoption du BIM pour un projet d'infrastructure de cette envergure. Dès la phase d'études, le passage à une modélisation en 3D a permis de mieux anticiper les conflits techniques entre les différents corps d'état : gaines de ventilation, fluides ou encore chemins de câbles.
En phase travaux, le BIM a introduit un processus collaboratif inédit, impliquant les titulaires des lots pour renseigner et mettre à jour la maquette 3D. Cette dynamique a réduit les risques de conflits majeurs et les besoins en ajustements, comme les carottages, grâce à des appels d'offres synchronisés et des cycles d'échanges réguliers.
Cependant, cette organisation a révélé une charge de travail conséquente, imposant une synchronisation rigoureuse des différents acteurs. Une leçon importante pour les projets futurs.
Retour d'expérience : une discipline indispensable
Le retour de Sylvain Lelièvre met en lumière les bénéfices mais aussi les limites de cette approche pionnière :
Sylvain Lelièvre"La ligne b a essuyé les plâtres d'une pratique nouvelle, adaptée du bâtiment mais encore perfectible pour les infrastructures."
Grâce au BIM, les entreprises ont évité des ajustements coûteux, et les équipements lourds, comme les escaliers mécaniques ou ventilateurs de tunnel, ont été parfaitement intégrés sans retouches. Une avancée majeure, même si les défis humains et techniques demeurent : engagement des équipes, adaptation des méthodes et transfert des acquis.
À découvrir dans cet article :
- Les ajustements nécessaires pour adapter le BIM au secteur des infrastructures.
- Les gains concrets observés dans la coordination des phases études et travaux.
- Les pistes d'amélioration identifiées pour optimiser les prochains projets.
Découvrez l'intégralité de l'interview avec Sylvain Lelièvre ci-après.
Comment la démarche BIM a-t-elle transformé vos pratiques de gestion de projet, et quels aspects souhaiteriez-vous voir évoluer pour optimiser vos futurs projets en BIM ?
Dans le cadre de la réalisation de la 2nde ligne de métro automatique de Rennes Métropole, notre maître d'œuvre EGIS Rail avait inclus dans son offre une mission dite de « synthèse », que l'on pourrait aujourd'hui qualifier d'ébauche de BIM. En phase étude, l'évolution a surtout été marquée par l'utilisation du logiciel REVIT et donc une conception des stations en 3D. Cela a permis de s'assurer de l'absence de conflit entre les gaines de ventilation, les chemins de câbles CFa/CFo, et les fluides (AEP et EU), et d'élaborer les plans de réservations dans le génie civil, présents dans les différents appels d'offres ainsi que dans la maquette 3D.
En phase travaux, il était demandé aux titulaires des lots (ventilation/désenfumage, plomberie, BT et HT) de renseigner, lors de plusieurs cycles d'échanges, la maquette 3D (celle du Moe) pour confirmer ou corriger les tracés de leurs ouvrages. À la fin de cette « synthèse », tous ces lots ont signé les éditions de plans, permettant aux lots de génie civil de générer leurs plans de réservations.
La principale modification imposée par cette « synthèse » a été d'anticiper les appels d'offres des lots interférents avec le génie civil, une nouveauté dans le contexte des projets de métro. Les stations de métro (ainsi que les puits de ventilation) sont des ouvrages classés comme infrastructures, avec des pratiques spécifiques. Par exemple, pour la première ligne de métro de Rennes (Moe SYSTRA), les appels d'offres de génie civil avaient été lancés en premier avec des prédispositions pour les gaines et fluides, ainsi que des réservations « enveloppes » pour des équipements comme les ascenseurs et escaliers mécaniques, conçues pour les appareils les plus « gros » du marché.
Quels obstacles avez-vous rencontrés en termes de coordination entre les différents acteurs du projet ?
Les appels d'offres pour les équipements, la ventilation, l'électricité et la plomberie ont été lancés entre deux et trois ans après le début des travaux de génie civil, et les entreprises ont dû s'adapter aux réalisations du génie civil ou trouver des cheminements alternatifs, notamment par le biais de carottages.
Sur la ligne b, le fait de devoir lancer tous les appels d'offres quasiment simultanément a généré une charge de travail considérable, tant pour les Moe (pour produire les DCE en même temps) que pour le MOA (pour valider ces DCE et lancer les procédures d'appels d'offres).
Parmi les entreprises qui devaient « renseigner » la maquette GC, deux approches ont été observées :
- Certaines ont reconduit les plans PRO du Moe pour en faire leurs plans EXE sans les réévaluer, puis les ont intégrés à la maquette GC. Cette pratique a montré ses limites lorsque, durant les études EXE, des alternatives ont été découvertes, mais la maquette GC ne pouvait plus les intégrer, la synthèse GC étant déjà terminée.
- D'autres ont réellement initié leurs études EXE, produit des plans spécifiques qui ont été intégrés à la maquette, le Moe jouant un rôle d'arbitre pour gérer les conflits. Cependant, cette approche a mis en lumière des défis humains : plusieurs chefs de projet initiaux ont quitté leurs postes avant la mise en œuvre, et leurs successeurs ne se sentaient pas toujours engagés par les choix antérieurs, ce qui a engendré des tentatives de modifications ou d'optimisations, parfois difficiles à intégrer.
Si vous deviez résumer en une phrase l'impact du BIM sur vos projets, quelle serait-elle ?
La ligne b du métro de Rennes Métropole a essuyé les plâtres d'une pratique nouvelle, adaptée du secteur du bâtiment où les projets durent rarement plus de 2 à 3 ans. Cette adaptation au monde des infrastructures a révélé l'intérêt que le MOA et le Moe pouvaient tirer de cette pratique, bien qu'elle exige une discipline bien plus rigoureuse que celle instaurée pour notre « synthèse ». Les entreprises, de leur côté, doivent pleinement s'engager dans le processus BIM, tirant parti de leurs précédentes expériences en la matière.
Malgré les imperfections, cette démarche a permis de limiter drastiquement les interventions sur le génie civil et les carottages. À noter que nous n'avons rencontré aucun conflit majeur, notamment en ce qui concerne les réservations pour les équipements lourds (ventilateurs de tunnel, ascenseurs, escaliers mécaniques). Par ailleurs, l'industriel en charge des escaliers mécaniques a apprécié de ne pas avoir à faire de « colmatage » entre son équipement et le second œuvre environnant, comme cela avait été nécessaire sur la première ligne.
Nous n'avons cependant pas de troisième ligne de métro dans les cartons pour appliquer les leçons tirées de cette expérience et optimiser davantage.
Apprendre des "plâtres essuyés" pour bâtir l'avenir
La ligne B du métro de Rennes nous montre que l'adoption du BIM dans les infrastructures est un défi complexe mais nécessaire. Si les "plâtres" de cette première expérience ont été essuyés, ils ont aussi révélé des opportunités majeures pour améliorer coordination et anticipation.
Vous avez des projets similaires ? Des retours d'expérience à partager ? Contactez-nous pour enrichir cette série et continuer à apprendre ensemble.
A propos de Sylvain Lelièvre
Sylvain Lelièvre est architecte de formation, diplômé de l'ENSAB, où il a exploré les impacts urbains et architecturaux des infrastructures de transport dans son mémoire intitulé « Une station VAL place Sainte-Anne, et après… ». En 1991, il intègre la SEMTCAR, maître d'ouvrage délégué de Rennes Métropole, au sein du pôle « Architecture et second œuvre », pour contribuer à la réalisation de la première ligne de métro automatique. Après la mise en service de la ligne a en 2002, il poursuit son engagement en supervisant les études et travaux de la ligne b en tant que responsable du même pôle, jusqu'à son inauguration en 2022. Aujourd'hui, au sein de TRAJECTOIRES, ex-SEMTCAR, il pilote le projet d'augmentation de capacité de la ligne a, confirmant son rôle clé dans l'évolution des infrastructures de transport rennaises.